Editorial - avril 2011  
   

La livraison de ce printemps témoigne du travail sans cesse renouvelé que constituent l'exploration et la description des collections des Archives françaises du film. Il s'agit parfois de comprendre la provenance d'images qui remontent, pour certaines, aux premiers temps de la prise de vue cinématographique. C'est l'invitation que fait la rubrique "en quête d'identification" en soumettant à la sagacité des internautes un montage de bandes produites par les sociétés Edison et Biograph. Les célébrations nationales nous donnent l'occasion de partir à la recherche des différentes représentations du chef d'oeuvre de Madame Leprince de Beaumont, "la Belle et la Bête" et, ainsi, de traverser les collections pour rassembler des oeuvres issues des cinq continents d'un bout à l'autre de l'histoire du cinéma. Ce voyage est le premier jalon posé dans l'exploration du cinéma fantastique que proposeront, dans les mois à venir, les Archives françaises du film. Plus inhabituelle est l'enquête qui nous permet de revenir sur les quelques images qui constituent la première apparition à l'écran de Jean Marais et qui nous apprennent qu'il ne faut pas se fier aux apparences et qu'un film peut toujours en cacher un autre !
Autant de jeux de piste emblématiques du quotidien des équipes qui se consacrent au traitement des collections confiées au CNC.
Et, pour finir, saluons Eric Le Roy, nouveau président de la Fiaf, élu lors du congrès qui vient de se tenir à Pretoria en Afrique du Sud.

Béatrice de Pastre - Directrice des collections des Archives françaises du film - CNC

 
 

L'Epervier : essais d'acteurs : Jean Marais et Eve Francis
ou de l'ambiguïté d'une identification

 
Essais d'acteurs : Eve Francis et Jean Marais

Essais d'acteurs : Eve Francis et Jean Marais
© DR, collection CNC-AFF

 

Des rushes, considérés comme les premiers essais de Jean Marais au cinéma pour le film de Marcel L'Herbier, L'Epervier, ont été déposés par le réalisateur aux Archives françaises du film du CNC. Le tout jeune homme répète deux scènes avec Eve Francis qui lui donne la réplique. Au début de l'une d'entre elles, un clap indique : «L'Epervier, essais Jean Marais, Eve Francis».
L'identification semble donc évidente. Mais que relatent ces deux fragments ? Jean Marais, alias Etienne, se plaint à sa mère de sa mésentente avec son père car il souffre de la voir délaissée par cet homme. Or L'Epervier raconte l'histoire d'un couple d'escrocs de haut vol dont la femme tombe amoureuse d'un jeune attaché d'ambassade au plus grand désespoir de son mari. Aucun lien, donc, avec les images citées plus haut. Cependant à la même période, Jean Tarride, ami de Marcel L'Herbier, tourne un film intitulé Etienne, qui sort en décembre 1933, soit un mois après L'Epervier. Les deux tournages sont concomitants, réalisés dans le même studio Pathé-Natan à Joinville, sous la houlette du même producteur, Adolphe Osso. Etienne est le récit d'un jeune homme déchiré entre son père et sa mère où figurent les deux scènes précédentes (le rôle principal est tenu par Jean Forest).

 
Gros plan sur un clap...

Gros plan sur un clap...
© DR, collection CNC-AFF

 

La lecture des autobiographies respectives de Jean Marais et de Marcel L'Herbier apporte des éléments de réponse permettant de sortir de la confusion qui entoure ces essais. Dans « Histoires de ma vie », l'acteur décrit ainsi la rencontre avec le célèbre metteur en scène : «[...] Il me parla d'un essai pour un film que dirige un de ses amis, "Etienne", de Jacques Deval [l'auteur de la pièce dont est tirée le film]. Eve Francis me donnera la réplique [...] ». Propos confirmés par l'un des biographes du comédien, Gilles Durieux, qui donne une précision supplémentaire dans « Jean Marais » : « [...] L'Herbier l'aiguillonne vers une nouvelle production, "Etienne" que devait réaliser Jean Tarride [...]. Le jour du bout d'essai, l'auteur de L'Inhumaine était évidemment sur le plateau [...]». Quant au réalisateur, voici ce qu'il en dit dans « La Tête qui tourne »: « [...] Il [Jean Marais] se présenta gentiment, [...]. Je l'engageais pourtant comme pseudo-assistant dans "L'Epervier" pour qu'il se familiarise avec le studio puis ayant vérifié la sincère envie qu'il avait d'un dressage rapide, je profitai du "Scandale" pour confier à cette jeune bête de cinéma le rôle de l'apprenti liftier [...] ». Ce que confirme l'ami de toujours, Jaque-Catelain dans «Jaque-Catelain présente L'Herbier » : « [...] Providentielle découverte ; un tout jeune passionné de cinéma [...], fait son apparition sur le studio de "L'Epervier" où il remplit le rôle d'assistant bénévole ; c'est Jean Marais ! [...] ».

 
Jean Marais

Jean Marais
© DR, collection CNC-AFF

 

On notera donc que les deux hommes n'évoquent pas la présence du futur jeune premier du cinéma français pour une figuration éventuelle sur ce film, bien qu'un visionnement attentif le montre fugitivement passant sur un quai de gare.
Toutes ces sources, certes mémorielles, apportent de sérieuses présomptions sur l'origine des plans. Par ailleurs, L'Herbier lui-même dans sa filmographie, cite "Le Scandale"  et "L'Aventurier" (sortis en 1934) comme étant les débuts de Jean Marais à l'écran.
Quant au « fameux » clap, on peut imaginer qu'il a pu être réutilisé d'un plateau à l'autre et d'une production à l'autre sans réelle signification.
Ce réseau de témoignages laisse donc  à croire que ce que l'on a identifié comme des essais pour "L'Epervier" pendant des décennies, constituent bien la première apparition de Jean Marais devant une caméra, mais pour "Etienne" de Jean Taride et non pour Marcel L'Herbier.

 
 

Rubrique Parcours découverte

 
Rubrique Parcours découverte

Rubrique Parcours découverte

 

Les parcours découvertes permettent d'explorer divers aspects de l'activité des Archives françaises du film du CNC.
Ils s'enrichissent au fil du temps et abordent des sujets aussi divers que l'histoire d'un film, d'un cinéaste, les métiers du patrimoine cinématographique, les technologies de conservation et de restauration.
En attendant de prochaines mises en ligne et compte tenu de la diversité des parcours proposés, la page, où l'on retrouve l'ensemble de ces articles, a été revue pour plus de clarté. Ainsi, ont-ils été thématisés selon six approches :
- Missions des archives
- parcours en langue anglaise
- films ou extraits de film
- thématiques
- hommages
- rencontres
L'occasion de voir, ou revoir, certains parcours !
Accès aux Parcours découverte

 
 

Hommage à Jeanne-Marie Leprince de Beaumont - La Belle et la bête

 
affiche de la Belle et la bête

Affiche de La Belle et la bête de Jean Cocteau
© Jean-Denis Malclè, ADAGP

 

A l'occasion du 300e anniversaire de la naissance, le 26 avril 1711 à Rouen, de Jeanne-Marie Leprince de Beaumont, les Archives françaises du film du CNC ont choisi de mettre en lumière l'influence que " La Belle et la Bête", le plus connu des nombreux  contes  de l'écrivain, par ailleurs  pédagogue  et  journaliste, n'a cessé d'exercer sur le récit cinématographique. Dès le XIXe siècle, différentes séries de plaques de lanterne magique, choisissent de coucher sur le verre cette étrange histoire où une enfant assume les fautes de son père. Au cinéma, si chacun a en mémoire le chef-d'oeuvre que Jean Cocteau en tira en 1946, et si les historiens savent toute la place qu'il revient d'accorder à la version signée par  Albert Capellani  en 1908, qui connaît les films éponymes  réalisés par  Edward L. Cahn  en 1962 aux USA ou  Juraj Herz  en 1981 en Tchécoslovaquie ? C'est par l'exploration du corpus des adaptations cinématographiques du conte, menée à partir de leurs collections que les Archives françaises du film ont tenté de reconstituer la généalogie de la fascination du Septième Art pour " La Belle et la Bête".
C'est à Londres, où Marie-Jeanne Leprince de Beaumont exerce le métier de gouvernante, qu'avec le soutien de Daniel Defoe, elle publie différents ouvrages de morale didactique auxquels elle donne le titre de "Magasins". Ainsi, c'est dans les "Magasins des enfants" de 1757  que figure "La Belle et la Bête", abrégé d'une première version écrite par une autre romancière,  Gabrielle-Suzanne Barbot de Villeneuve, où l'on trouve déjà le motif de la fleur rouge dont le « vol » par le père est à l'origine de la lourde dette payée par sa fille (la Belle) à la Bête. Il faut relever qu'un siècle plus tard en Russie, l'homme de lettres Sergueï Aksakov livre sa propre version du conte, sous le titre de "La Fleur écarlate". Lev Atamanov en tire en 1952 un film d'animation, "Alenki tsvetotchek"  - " Petite fleur vermeille" - pour le compte de la société de production soviétique Soyouzmoultfilm." Beauty and the Beast", produit par les studios Disney en 1990 en est le remake plus ou moins affiché. Cette adaptation revendique cette filiation complexe, où les deux auteures françaises sont convoquées  aux côtés du Russe. En 1977, Irina Povolotskaya adapte à son tour "Alenki tsvetochek", en prises de vues réelles où La Belle est cette fois confrontée à un esprit de la forêt.

 
Alenki tsvetotchek

Alenki tsvetotchek de Lev Atamanov
© Soyouzmoultfilm

 

On pourrait faire remonter bien plus loin cette chaîne d'emprunts, jusqu'aux archétypes d'Amour et Psyché apparus dans "L'Âne d'or ou les Métamorphoses", qu'Apulée composa en latin au IIe siècle après J.-C. C'est toutefois bien à Jeanne-Marie Leprince de Beaumont qu'il appartient d'être parvenue à cet équilibre des signifiés incertains qui, entre terreur primale et érotisme, a depuis toujours suscité l'intérêt de cinéastes qui ne destinaient pas forcément leurs oeuvres à la jeunesse. Selon certaines sources, c'est en 1899 qu'est tournée en France la première expression filmique de son ouvrage, qui reste anonyme, tout comme l'adaptation produite en 1903 par  la société américaine S. Lubin. On sait en revanche que c'est à  Percy Stow  que l'on doit le "Beauty and the Beast" réalisé en 1905 au Royaume-Uni, alors que c'est  Harry C. Mathews  qui signe la version américaine de 1913, avec Elsie Albert dans le rôle de la Belle. Il semble qu'en 1946, Jean Cocteau livre le premier film parlant tiré du conte de Madame de Beaumont ; la magie si particulière de cette oeuvre aujourd'hui mythique procède autant de l'inflexion si particulière que Jean Marais donne à sa voix lorsqu'il interprète la Bête que des lumières de Henri Alekan ou des maquillages de Hagop Arakelian. La réussite exceptionnelle de Cocteau décourage peut-être d'éventuels suiveurs, puisqu'à l'exception de celles de 1962 et 1981 déjà citées, aucune autre adaptation n'est entreprise avant celle que l'Américain  Eugene Marner réalise en 1987. C'est d'ailleurs la même année que le producteur Ron Koslow crée aux Etats-Unis une série télévisée diffusée avec succès jusqu'en 1990 ; il faut relever que de nombreux téléfilms avaient déjà été consacrés au conte depuis 1958 dont un épisode de la série «Shirley Temple's Storybook». Signalons enfin qu'en 2010, l'Australie à son tour a produit un" Beauty and the Beast", réalisé par  David Lister et dont, jusqu'ici, la sortie n'a toutefois été signalée qu'au Liban.
Des fééries des premières années du vingtième siècle aux effets spéciaux qui règnent sans partage sur les productions contemporaines, tous les films dérivés du célèbre conte de Madame de Beaumont ont en fait jalonné l'évolution du genre fantastique. En donnant avec sa Belle et à sa Bête leur tour définitif à des figures plus que millénaires, celle dont la devise était « Plaire à la jeunesse en l'instruisant » avait non seulement contribué à dessiner l'inconscient collectif français, mais forgé les personnages immortels qui appartiendraient un jour au panthéon du patrimoine cinématographique mondial.

 
 

La FIAF à Pretoria

 
Alger-le Cap
Alger-le Cap, Serge de Poligny
© Collection CNC-AFF
 

Pour la première fois de son histoire, la Fédération internationale des archives du film (FIAF) a organisé son congrès annuel, le 67e, en Afrique sub-saharienne. Il s'est déroulé à Pretoria, capitale administrative de l'Afrique du Sud, du 11 au 16 avril 2011. Pretoria est située dans la partie nord de la province du Gauteng, et fait partie de la conurbation de Tshwane qui rassemble treize municipalités.
Le National Film, Video and Sound Archives (NFVSA ), partie intégrante du National Archives and Records Service of South Africa, a accueilli également, à cette occasion, l'école d'été de la FIAF (FIAF Summer School ) durant les deux semaines qui ont précédé le Congrès. De plus, un festival de films dédié aux oeuvres produites sur le continent africain, comprenant des projections quotidiennes, a accompagné le Congrès. Le symposium, quant à lui, s'est intéressé à «l'héritage audiovisuel indigène en Afrique et dans le Monde », et plus particulièrement aux collections et à leur préservation. Les Archives françaises du film du CNC ont présenté dans ce cadre un extrait du film de Serge de Poligny Alger-Le Cap, retraçant le rallye automobile qui, en 1952, rallia les deux villes. Eric Le Roy a expliqué les conditions de production et de réalisation de ce documentaire auquel participèrent Marcelle Goetze et Jean Rouch. A l'occasion des élections qui ont clôturées le congrès, Eric Le Roy a été élu Président de la Fiaf.

 
 

« Fignolés main » au festival d'Annecy
Une histoire du film publicitaire en France 1910-1970

 
Programme Fignolés mains

Eau chaude 61, J. & C. Clerfeuille
© Cinéma Nouveau / collections CNC-AFF

 

«Fignolés main» est un programme concocté par les Archives françaises du film du CNC en collaboration avec l'AFCA (Association française du cinéma d'animation) et la CITIA (Cité de l'image en mouvement). Il se compose de films d'animation publicitaires français, restaurés et conservés à Bois d'Arcy, réalisés entre 1910 et 1970.
Des années 1910 aux années 1930, ces films étaient généralement réalisés par des auteurs déjà installés dans la profession – Robert Lortac, O'Galop, Emile Cohl, Albert Mourlan – diversifiant ainsi leur activité. A partir des années 1930, les nouveaux intervenants - Paul Grimault, Alexandre Alexeieff, Jean Aurenche, Etienne Raïk, Omer Boucquey, Jean Mineur et beaucoup d'autres - apparaissent dans le monde du cinéma publicitaire, qui est désormais sonore. Ils redoublent d'inventivité dans l'approche scénaristique et esthétique des produits ainsi présentés dans de véritables écrins, où l'humour le dispute à l'absurde.
De la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu'aux années 1970, la publicité se développe considérablement. A cela, deux raisons : d'une part, les productions américaines de retour sur le marché français après la Libération laminent le film d'auteur, détournant bon nombre de structures vers la production de films publicitaires qui apparaît désormais comme un refuge. Certains se recyclent quasiment à 100% dans cette discipline, comme Omer Boucquey, d'autres, comme Grimault ou Alexeïeff, utilisent la publicité comme le centre d'essais de nouvelles techniques ou comme laboratoire de recherche. 
Déjà projeté dans le cadre des 9es sommets du cinéma d'animation de Montréal en décembre 2010, ce programme sera présenté lors du festival d'animation d'Annecy qui aura lieu en juin prochain.

 
 

Films en quête d'identification - De nouvelles images à identifier :

 
[Nickelodeons]

[Nickelodeons]
© DR, collection CNC-AFF

 

Il s'agit d'un film de montage consacré aux moyens de transports urbains à New York entre 1896 et 1904 qu'illustrent quelques unes des premières bandes des sociétés Edison et Biograph. La copie des Archives est muette, en noir et blanc, de format 16 mm, avec des cartons explicatifs entre chaque bande. Elle mesure 172 m, ce qui correspond à environ 20 minutes de projection. Sur les manchettes figurent des codes Eastman Kodak, qui indiquent que cette copie a été tirée soit en 1941, soit en 1961, ce qui semble plus vraisemblable.
Résumé du film : le développement des moyens de transport public à New York est évoqué à travers plusieurs vues filmées entre 1896 et 1904 par Edison et Biograph. Les rues de la grande cité apparaissent ainsi telles qu'elles étaient au tournant du siècle, reliées par un réseau de tramways. En empruntant le pont de Brooklyn, un train effectue un aller-retour vers Manhattan. Des vues présentent également la construction du métro et son inauguration en 1904, ainsi que le quai de la gare centrale, où attendent les voyageurs.
On aperçoit également Fulton Street, Union Square, Flatiron Building, Madison Square (sous la neige) ou encore la 110th Street.

Films en quête d'identification

 
 

Films restaurés par les AFF-CNC projetés dans le cadre de la diffusion culturelle

 
Ces gens du nord
Ces gens du nord, René Lucot
© DR, collection CNC-AFF
 

L'Inde est à l'honneur au festival Confrontation de Perpignan du 21 au 27 avril avec, notamment, la programmation du plusieurs films de Louis Malle, restaurés par les Archives françaises du film du CNC.
En mai, à Tulle, carte blanche aux Archives avec la projection de Ces gens du nord, de René Lucot. On notera également la projection de Goémons à Montreuil et le festival du court-métrage d'Oberhausen (Allemagne).
Au mois de juin, projection en plein air de Codine, d'Henri Colpi, à Sète. Le Kecskemet animation film festival, en Hongrie, rend hommage aux immigrants hongrois dans le domaine de l'animation. Et, fin juin, rendez-vous au festival de Bologne : Il Cinema ritrovato...

 


Programmation en cours sur le site des AFF

 
 

Crédits

 

Textes : Béatrice de Pastre, Laurent Bismuth, Dominique Moustacchi, Eric Le Roy & Magali Gourret
Iconographie et photos : Emilie Guillemain & Magali Gourret
Remerciements à Emilie Guillemain, Jean-Baptiste Garnero & Eric Loné
Relecture et corrections : Béatrice de Pastre
Coordination technique et mise en ligne : Driss Tsila

 

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